Jean-Jacques Bouëstard (1730-1810)

Médecin, homme des Lumières, franc-maçon, révolutionnaire et maire de Saint-Martin

Jean-Jacques Bouëstard de La Touche est né le 17 décembre 1730 à Angers, d’origine roturière. Son grand-père Jean avait été lieutenant de gabelle et son père François était lieutenant des Fermes du Roi (administration fiscale). Ce sont probablement ces fonctions de percepteur qui lui ont valu ce surnom de « de la Touche » qui sera accolé au nom Bouëstard. Il obtient son doctorat en médecine à la Faculté de Caen en 1757, puis vient s’installer près de Pouancé. Il épouse le 03 octobre 1758 Anne Serbert, avec laquelle il a une fille Charlotte le 11 octobre 1759 (+ 1792). Ils auront au total six enfants avec Noël (1763-1772), Jean-François (1770-1780), Jean-Charles (1774-1775), Jean-Marie (1777-1780), Anne (née en 1781).

 

Jean-Jacques Bouëstard à Morlaix

Puis à la fin de cette même année 1759, ils s’installent à Morlaix, en ce temps-là cité active et prestigieuse, 11 400 habitants, 69 732 pour la subdélégation, avec son port de commerce, ses corsaires, ses fabriques de toiles, sa superbe manufacture de tabac, avec ses artisans, ses orfèvres, ses lupanars, ville qui attirait des gens venus de tous les coins de France, sans compter des irlandais, des écossais, des anglais jacobites et plus tard des acadiens. De 1759 à 1763, les désastres militaires se succèdent, perte de l’Inde, du Canada, de la Louisiane. L’hôpital de Morlaix comme ceux de Brest ou du Folgoët accueille quantité de soldats et marins malades fiévreux, dysentériques, scorbutiques, car les épidémies et les longues traversées étaient alors bien plus meurtrières que les batailles. Spontanément, Bouëstard se présenta, et pendant dix ans il soigna et opéra les militaires sans recevoir la moindre rétribution. Heureusement il avait sa clientèle en ville, mais seuls les nobles et les riches bourgeois pouvaient lui permettre des gains. Le 20 février 1772, Louis XV signe de sa main, à la requête de l’évêque de Tréguier qui présidait le bureau de l’Hôpital, le brevet qui lui accorde la distinction de Médecin du Roy. En août 1777, il est accueilli dans la Société Royale de Médecine, fondée en 1776. Tous les trois mois, il adressait ses rapports officiels au Secrétaire d’Etat du département de la Guerre. Bouëstard se lance aussi dans la fabrication de toiles indiennes, mais cette activité le conduira vite à la faillite.

Bouëstard crée l’école franco-bretonne des sages-femmes de Morlaix

A l’époque, la Bretagne se dépeuplait, à l’inverse des autres régions. Cela était dû aux épidémies et surtout à l’épouvantable mortalité frappant les enfants et les mères. Les enfants mort-nés atteignaient 40 à 60% des décès. Chaque paroisse possédait bien une ou plusieurs soi-disant matrones, désignées et contrôlées par le recteur, mais ce métier, considéré comme répugnant, était pratiqué par des laissées pour compte, souvent ivrognes, ignares. Le chirurgien Jacques Dubois, professeur-démonstrateur d’accouchements, qui a parcouru la Bretagne de 1769 à 1789, ami de Bouëstard, a laissé un témoignage sur les pratiques épouvantables de ces pseudo-matrones. Il estime à 15 000 personnes par an en Bretagne le nombre de décès imputable à l’ignorance et l’incompétence de celles-ci. Contre ce fléau, les Etats de Bretagne avaient déjà organisé un enseignement des sages-femmes dans les diocèses de Rennes en 1763, puis de Nantes. Pour les sept autres évêchés, on ne s’en occupa que plus tard, en 1769, et ils durent se partager un seul et même médecin-formateur, Jacques Dubois, cité plus haut. Le 1er mai 1774, Bouëstard ouvre l’école de sages-femmes de Morlaix, d’une promotion de 30, bilingue français et breton. Il fait imprimer, à ses frais, un manuel « Instructions succinctes sur les accouchements à l’usage des sages-femmes de province », en français et en breton. Mais Bouëstard ne peut supporter les frais de cette école, malgré l’appui du ministre Turgot, un frère franc-maçon avec qui il correspond, et qui promet une aide, mais en opposition avec les Etats de Bretagne qui eux contrôlent les finances, et ne versent rien. L’école produira cinq promotions et devra fermer.

La lutte contre les épidémies

De graves épidémies ravagent périodiquement Morlaix et sa région, ainsi que le reste de la Bretagne, où règnent toutes sortes de maladies infectieuses. En 1772 du foyer de Plouégat-Moysan, l’épidémie, une fièvre putride et maligne qui se communique d’un village à l’autre, monte à l’assaut de Morlaix par l’Est (Le Ponthou, Plouigneau), le Nord (Ploujean), le Sud (Botsorhel, Plougonven, Plourin). Pour la première fois à Morlaix, un chirurgien va être utilisé par l’administration royale pour soigner les pauvres. C’est Jean-Mathieu Durand, placé sous les ordres de Bouëstard. Durand sera d’ailleurs victime de la prochaine épidémie de 1779. En septembre 1779, la flotte franco-espagnole de plus de 65 vaisseaux du comte d’Orvilliers, partie pour tenter un débarquement en Angleterre, revint en catastrophe à Brest, avec plus de 8 000 malades, les ¾ atteints du scorbut. Les hôpitaux de Brest et du Folgoët débordés, on en envoya sur Landerneau et sur Morlaix. Mais dès février et mars 1780, se développa une épidémie dans la population civile dans Brest, Morlaix, Lesneven, Lannion et les campagnes. On estime à 45 000 le nombre de victimes. Parmi celles-ci les deux derniers fils de Bouëstard, Jean-François, 10 ans, le 04/05/1780 et Jean-Marie, 3ans et 4 mois, le 12 du même mois. En 1785, c’est une épidémie de typhoïde suivie de pneumonie qui frappe Saint-Thégonnec. DE 1786 à 1788 des fièvres putrides malignes continuent de frapper la région. Bouëstard est alors l’un des médecins qui inoculent pour lutter contre la variole (l’ancêtre de la vaccination).

Bouëstard, l’un des fondateurs de la franc-maçonnerie morlaisienne

Le 08/06/1775, Bouëstard, qui avait été reçu dans la franc-maçonnerie à Angers, est l’un des neufs frères fondateurs de la loge La Noble Amitié qui est ré-installée à Morlaix (elle datait en fait de 1746), dont il devient Orateur. Mais peu à l’aise dans cette loge très aristocratique, il la quitta en 1776 avec six autres frères et créa une nouvelle loge, l’Ecole des Mœurs, dont il sera Premier Surveillant. Sur ces entrefaites naquit à Morlaix une troisième loge, encore plus hétéroclite, La Fidèle Union. En 1784, Bouëstard devenait Vénérable de l’Ecole des Mœurs, qui groupait alors tout ce qui comptait à Morlaix comme négociants, armateurs et autres gens rompus aux affaires privées et publiques. Dubernad, Mazurié, Diot qui seront maires de Morlaix appartenaient à l’Ecole des Mœurs. Bouëstard était aussi membre de la Chambre de Littérature et de politique de Morlaix. Il en était l’un des secrétaires, l’autre étant l’abbé Expilly, recteur de Saint-Martin. Sa bibliothèque personnelle comptait près d’un demi-millier de livres, chose exceptionnelle à l’époque.

Bouëstard, révolutionnaire et gestionnaire

En février 1789, Bouëstard est député aux Etats Généraux de Bretagne, convoqués par louis XVI. Puis il participe à la rédaction des cahiers de doléances des médecins, chaque corporation apportant le sien. Ils sont fondus en un seul : « le cahier de doléance de la sénéchaussée de Morlaix ». Le 24/06/1790, Bouëstard est élu administrateur du département du Finistère (36 membres). Il participe à la mise en place de l’administration du district de Morlaix et de celui de Quimper. Puis il est nommé à la commission de liquidation des affaires de la province à Rennes, dont il devient président, commission qui siégera jusqu’au 01/11/1791. Bouëstard participe en novembre 1790 à la création de la Société des Amis de la Constitution, affiliée à la société mère de Paris (les Jacobins), à un tel point qu’on l’appelle « le club Bouëstard ». Le 8 septembre 1791, Bouëstard est élu député du Finistère à l’Assemblée Législative. Il est membre, puis président du comité des secours publics. Revenu à Morlaix en octobre 1792, il devient procureur-syndic du district de Morlaix, et organise le recrutement des 426 hommes que doit fournir le district de Morlaix à l’armée (recrutement qui conduira aux troubles du Léon de mars 1793 et à ce qu’on a appelé la bataille de Kerguidu). Bouëstard, révolutionnaire Montagnard, prit ses distances avec les administrateurs du Finistère, plutôt de tendance Girondine. Le 12/07/1793, un communiqué de la municipalité de Morlaix et du district (donc de Bouëstard) dénonçait l’administration du Finistère (dont 26 membres seront exécutés à Brest le 22/05/1794, dont Louis Alexandre Expilly, évêque constitutionnel, qui avait été recteur de Saint-Martin, et Yves-Joseph-Louis Le Denmat).

Conseiller municipal et maire de Morlaix

Pourtant âgé, Bouëstard continue d’assurer des fonctions : En novembre 1793, il est élu Président de la commune de Ploujean. Le 02/12/1795, il est élu membre de la municipalité de Morlaix, puis élu Président de l’administration municipale (maire). Du 04 février 1806 jusqu’au 27 juillet 1810, il siègera toujours au conseil municipal, chargé de la vérification du budget communal.

Maire de St-Martin-des-Champs

Enfin, Jean-Jacques Bouëstard devint maire de St-Martin-des-Champs en décembre 1807, ayant acquis une propriété à Kerlan, vendue comme bien national. Il cumule cette fonction avec celle de conseiller municipal de Morlaix. Bouëstard mourut le 11/09/1810 dans sa maison de la rue des Fontaines à Morlaix, et son épouse Anne Serbert trois mois plus tard le 18/12/1810.

La descendance de Bouëstard

Sa fille Anne, seule enfant survivant, née tardivement en 1781, épousa Jean-Baptiste-Marie La Perrière, employé aux subsistances militaires. Ils eurent trois enfants. Sophie Marie Adélaïde Julienne La Perrière, la sœur de Jean-Baptiste épousa Jean Isaac Augustin Allotte. Cette union donna le jour à Morlaix le 23/11/1800 à Sophie-Henriette Allotte, qui eut pour marraine Anne Bouëstard, et qui devint 27 ans plus tard, la mère de … Jules Verne.

Source : BOUËSTARD médecin, philosophe, franc-maçon & jacobin 1730-1810 - Henri Stofft & Jean Ségalen – Editions du Dossen

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